Poursuivant l’expérience menée en 1994 au monastère d’Apostolache en Valachie, les ateliers franco-roumains regroupent depuis dix ans, sous la direction de Benjamin Mouton, étudiants français de l’École de Chaillot et étudiants roumains de l’Université Ion Mincu de Bucarest, autour de l’étude de monuments significatifs du patrimoine roumain : monastères orthodoxes, églises peintes, forteresses saxonnes.…
En l’absence de connaissances pré-acquises, les ateliers exigent des étudiants une acuité accrue lors des relevés et un véritable échange avec leurs homologues étrangers, ce qui constitue tout leur intérêt pédagogique.
Typologie des monastères
Le patrimoine bâti roumain possède une richesse et une diversité issues de la géographie et des péripéties de l’histoire. Il bénéficie d’un environnement d’une rare authenticité et de paysages remarquables. Il est malheureusement endommagé par les séismes qui surviennent à intervalles réguliers sur une grande partie du territoire : les derniers très destructeurs remontent à 1850 et 1977.
Les monastères orthodoxes de Valachie répondent à une typologie architecturale influente et durable : de ce fait, les études analogiques renseignées par nos partenaires roumains se révèlent très productives, tant au niveau formel que technique, pour restituer un état disparu.
Ainsi, le projet de restitution de l’étage de la maison monacale d’Apostolache s’est certes appuyé sur les vestiges conservés en place, mais il s’est surtout inspiré des exemples analogiques régionaux. La volumétrie générale a ensuite été affinée au regard « de la remise en silhouette générale » des toitures du monastère très modifiées au XIXe siècle avec l’introduction généralisée des couvertures en tôle.
Le projet proposé par les étudiants — entériné par la Commission des monuments historiques roumains — se refuse au pastiche mais respecte les volumétries et ambiances traditionnelles, avec une écriture contemporaine.
À l’église d’Apostolache, comme à celle de Berislavesti, la présence de tirants en bois noyés dans la maçonnerie, présumée lors de l’étude analogique, a été confirmée par des sondages ; elle a orienté les étudiants vers des projets de consolidation parasismique innovants, réutilisant les cavités existantes pour y introduire des tirants métalliques.
Dans les deux cas, le risque sismique a été intégré aux projets engendrant la conception de superstructures légères et souples : toiture posée sur une plate-forme de répartition en bois, désolidarisée des murs de façade à Apostolache, structure métallique tridimensionnelle formant chaînage et toiture à Berislavesti.
En outre, l’étude du tableau votif peint au revers de la façade de l’église de Berislavesti et représentant deux états successifs superposés de l’église et ses donateurs, a été croisée avec une étude analogique sur les églises tréflées à trois tours lanternes et, avec les traces d’anciens solins encore en place ainsi que les débris de tuiles anciennes retrouvés dans le comble, ces éléments ont permis de cadrer le projet de « remise en silhouette » de la toiture.
Le projet de restitution des peintures murales extérieures doit, pour sa part, autant aux sondages et relevés qu’à l’apport des étudiants roumains, très au fait des traditions décoratives et des techniques picturales locales. Deux piédroits sculptés retrouvés sur le terrain ont permis en outre de proposer une restitution des encadrements des baies.
Le point de vue roumain
Sergiu NISTOR - Université de lon Mincu
Les Ateliers franco-roumains constituent peut-être la manifestation de coopération professionnelle la plus représentative dans le champ patrimonial entre la France et la Roumanie, en raison non seulement de ses dix ans d’ancienneté, mais aussi par la qualité des professionnels impliqués, l’exemplarité des sujets abordés et le nombre important d’étudiants qui y ont participé.
Ils répondent à la volonté de la regrettée Sanda Voiculescu, chef de la chaire d’histoire et théorie de l’architecture à l’université de Ion Mincu, soucieuse d’initier une formation post-universitaire en restauration architecturale. Ces ateliers ont marqué toute une génération de jeunes architectes.
Leur importance dépasse largement celle d’un simple outil pédagogique. La réflexion méthodologique et didactique menée de concert est devenue du point de vue de la théorie de la restauration du bâti ancien un bien commun sur lequel fonder les futurs projets de coopération.
Ces Ateliers démontrent que le patrimoine reste un domaine significatif de la coopération internationale, et plus particulièrement entre la Roumanie et la France.
Tradition occidentale
Fondée au XIIe siècle par des colons lorrains et flamands, la ville de Sibiu abrita dès cette époque un hospice religieux transformé, de nos jours, en asile. L’église- dortoir, maintenant désaffectée a connu de multiples modifications peu étudiées jusqu’alors. Des fondations jusqu’aux charpentes de l’église, de nombreux indices ont été
activement recherchés et mis au jour par les étudiants, puis croisés avec les données archéologiques existantes : ils ont permis de mieux comprendre l’évolution complexe de l’édifice, passé du statut d’église catholique gothique d’un hospice médiéval, à celui d’église baroque puis à celui de lieu de culte orthodoxe. Les nombreuses pathologies qui mettaient en péril l’édifice ont également été identifiées afin de préconiser les mesures d’urgence et de confortement préalables à la restauration.
L’étude plus large de l’insertion de l’îlot de l’hospice médiéval au cours de l’histoire de la ville de Sibiu a laissé entrevoir la place aujourd’hui occupée dans la communauté urbaine et le rôle social que pourrait à terme tenir l’église au sein de l’asile.
Villages saxons de Transylvanie
La Transylvanie, austro-hongroise jusqu’en 1920, recèle des paysages remarquables et une typologie villageoise très structurée, issue des vagues d’immigration saxonne.
Sept villages, dont Câlnic, ont été classés au Patrimoine mondial de l’Unesco : ils sont constitués d’une rue unique et large, bordée en continu d’une alternance de pignons et de porches de fermes, toutes installées perpendiculairement à la voie. L’église fortifiée, calée « en verrou » dans l’axe de la rue, tient une place prépondérante dans cette configuration.
Les études d’environnement urbain et paysager menées par les étudiants sur les deux ensembles fortifiés ont mis en évidence l’interaction très forte entre le village et sa place forte, et la corrélation de leur développement respectif. Des relevés d’indices concordant ont permis de restituer l’évolution conjointe des bâtiments et des enceintes et de faire le lien avec la situation politique historique régionale.
Sur ces deux sites, la demande ambitieuse de programme de réutilisation du monument formulée par le propriétaire a du être réadaptée aux potentialités réelles du monument, mais le projet de mise en valeur proposé par les étudiants a logiquement été étendu à l’ensemble des cônes de vues entre le monument et son village.
Florence BABICS
Architecte du patrimoine, enseignante à l’École de Chaillot